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Histoire de la Blanchette

Inutile de le nier, à l''énoncé de cette appellation vous avez tout de suite imaginé une vachette à la robe immaculée ou mieux encore une jolie biquette toute blanche !

Et bien non ! Ce sobriquet désignait « La Mère Laplace » étant donné que son homme était « Le Père Laplace ».



 

Dans nos campagnes on employait volontiers les sobriquets. Parfois il s'agissait simplement de distinguer des personnes portant même nom et même prénom et habitant le même lieu. Ce qui n'était pas rare. Comment savoir par exemple si on parlait du même Georges Lardet puisque il y en avait trois au village et que de plus ils n'avaient aucun lien de parenté entre eux. Alors, l'un était « De la place », le second « De la rivière, » appellation qui se mua sur ses vieux jours en « Le poète », surnom mieux adapté à ses talents de chanteur et de diseur de poèmes choisis, quant au troisième qui ne venait au village que pour y cultiver ses vignes et soigner son vin c'était « La bonbonne », vu qu'à chacun de ses voyages il emportait une bonbonne de vin que sa femme tenait devant elle sur le tansad de leur petite moto. Ce qui était avouons-le assez insolite.

Parfois le sobriquet était lancé comme ça, il collait au personnage : « Le double mètre », pour un géant ; à l'opposé pour un être aussi chétif que le dernier d'une nichée, c'était le « queue-là », ou le « rat q'gnon », « la Blanchette », noire du chapeau aux chaussettes, les sabots eux faisant plutôt grise mine, l'avait été par dérision.

Son mari et elle vivaient dans une maison bien délabrée, sans eau ni électricité située juste au-dessus de l'église. Ils y vivaient à l'ancienne cuisinant dans l'âtre de la cheminée. Une cheminée qui ignorait l'existence des ramoneurs et n'assurait plus le tirage nécessaire à la bonne évacuation de la fumée. A cuire les repas au-dessus de ce foyer perpétuellement enfumé la cuisinière y gagnait une couche de poudre qui n'était pas de riz mais de suie. Vous l'avez compris « La Blanchette » avait le visage et les mains couleur de suie.

A l'insipidité de l'eau que le couple devait puiser à la source proche, tous deux préféraient le vin qu'ils achetaient au litre chez l'épicière.

Lui, petit malingre, chapeau noir, moustache noire, semblait tout droit sorti d'une photographie des anciens de la guerre 14-18. Il avait la réputation d'être mauvais et on s'en méfiait. Affecté d'un très fort tremblement des mains, il n'aimait pas boire en public obligé qu'il était de tenir le verre à deux mains, et encore parfois cela ne suffisait pas toujours.En l'absence de témoins il préférait boire au goulot de la bouteille.

Derrière le père Laplace on peut reconnaître André Degueurce

Il était garde-champêtre et marguillier, c'est-à-dire appointé par la commune pour battre le tambour, distribuer les avis et sonner les cloches.

L'usage des montres de poignet n'était pas encore très répandu. A midi surtout, les vignerons attendaient son signal pour interrompre leur travail. Mais les douze coups pouvaient se faire attendre plus ou moins longtemps, c'étaient parfois les tiraillements de l'estomac vide qui alertaient les travailleurs qu'il était temps de rentrer manger.

Il sonnait le glas pour les enterrements, les offices. Je dois avouer qu'il nous a souvent distrait des prêches. Je me souviens d'une année où l'on célébrait je ne sais plus trop quelle fête Mariale en nocturne. Il occupait à l'église, à gauche en entrant, un banc qui formait bloc avec le prie-dieu. Les dalles de notre église sont très disparates et de hauteur inégales, la prudence s'impose pour éviter les basculements.

Ce soir-là, il était manifestement ivre et son tremblement, joint à la maladresse de ses gestes, faisait dangereusement osciller la flamme de la bougie posée devant lui (l'église n'a été électrifiée qu'en 1984). Nous guettions ma sœur et moi le moment où celle-ci allait s'éteindre, mais ce n'est pas ce qui déclencha notre fou-rire.

En cours d'office il devait sonner les cloches. Il eut bien du mal à s'extraire de son banc, puis titubant il se dirigea vers la corde à laquelle il s'accrocha comme à une bouée de sauvetage, le premier mouvement était donné…, mais mal assuré sur ses jambes il oublia de lâcher la corde…


 

Il ne pesait pas lourd. Il était si menu qu'on le vit décoller du sol… On riait, mais sous cape, le bonhomme avait la réputation de faire ses mauvais coups en douce. Il s'agissait principalement de dénonciations pour fraude…

Et quel vigneron ne fraudait pas peu ou prou !

On lui attribuait par exemple la descente des gabelous chez le cafetier du village. Ce dernier, ne fraudait ni plus ni moins que les autres. Mais à un cafetier il n'est pas permis de consommer son propre alcool ou d'offrir une goutte à un copain dans sa cuisine sans s'acquitter des droits applicables à son établissement.

Ce qui convenons-en est tout de même abusif. Le cafetier rééquilibrait la balance en ne déclarant l'achat d'un litre de goutte qu'une ou deux fois l'an.

Le litre d'eau-de-vie qui trônait dans la salle du café aux côtés des digestifs et liqueurs étant presque vide, le patron en avait commandé un nouveau à son fournisseur habituel, un vigneron du village et l'avait rangé dans le placard de la cuisine en attendant que l'autre fut entièrement vide. A cette époque le général De Gaule n'avait pas encore supprimé ce privilège hérité des guerres napoléoniennes qui consistait à accorder aux vignerons le droit de distiller de l'eau de vie pour leur propre usage.

Les Gabelous arrivèrent inopinément comme leur travail le requiert, constatèrent la présence d'un litre contenant un fond d'eau de vie sur l'étagère de la salle de café, de là se rendirent dans la cuisine, ouvrirent la porte de gauche du placard…

…où se trouvait l'autre bouteille intacte.

On ne badine pas avec la « Directe », non seulement le cafetier dut s'acquitter d'une forte amende mais on lui retira le droit de tenir « le bureau de tabac » la condamnation étant incompatible avec la fonction de buraliste !

Ce dont tout le village eut à pâtir. Le patron n'était point sot. Il fit les rapprochements entre les propos échappés par les contrôleurs, la chronologie des faits, les personnes susceptibles de poser un tel acte. La conclusion ne faisait pas l'ombre d'un doute : la dénonciation ne pouvait venir que du « Père Laplace ».

Que peut-on faire contre un délateur quand on ne veut pas se mettre en infraction avec la loi ? Le cafetier tenait surtout à ce que ce dernier sache qu'il n'était pas dupe de sa fourberie. L'occasion lui fut donnée, alors qu'il se trouvait dans sa vigne du Mont Saint-Pierre, d'apercevoir le père Laplace qui montait dans la direction de Messy. « Attends mon bonhomme, se dit-il, au cas où il te prendrait encore l'envie de me jouer un autre tour de cochon, tu y réfléchiras à deux fois ! »

Personne en vue…

Il coupa par la chaintre et le laissa s'approcher du bachat, là, il le prit par le fond du pantalon et alla le plonger dans l'eau fraîche de l'abreuvoir, où il le maintint un moment sans commentaire superflu. Il n'était pas besoin de paroles dans ces cas-là. Le père Laplace n'a jamais soufflé mot de sa mésaventure à quiconque mais il se savait démasqué. Bien embarrassant quand on vit au sein d'une aussi petite communauté.

Certains soirs l'écho des scènes de ménage du couple arrivait jusqu'à la place du village. Etait-ce l'abus de vin qui était à l'origine des scènes ou bien quelque infidélité de « La Blanchette ». Tout se savait dans un si petit village !Même que ces cotillons crasseux dissimulaient un corps bien fait et une peau douce et blanche. Alors, le bruit de leurs disputes on s'en amusait, on savait qu'il y avait plus de cris que de coups, qu'ils avaient pour habitude de se courir après dans une sorte de ronde en passant de la cuisine à la chambre. Un jour cependant, les voisins entendirent un grand bruit…

Le lendemain, toute penaude « La Blanchette » raconta qu'elle avait claqué trop fort la porte de la chambre et que le galandage séparant les deux pièces s'était écroulé !

 

Elle aimait se rendre au marché qui se tient chaque lundi à Juliénas. Par les « traver'sires » ce n'est pas si loin. On le savait et si l'on avait besoin de l'un ou l'autre produit du marché, du pain le plus souvent, elle se faisait un plaisir de le rapporter. Elle gagnait là quelques pièces et l'occasion de montrer qu'elle pouvait aussi rendre service !

Par charité, ou si vraiment la main-d'œuvre manquait par trop, elle trouvait parfois à se faire embaucher pour une journée de vendanges. Une année vendangeant pas trop loin d'elle, j'entendis un bruit insolite. Je levais la tête en direction du bruit et vit notre Blanchette, jambes légèrement écartées, uriner debout !


 

« Et bien me dis-je »

ce n'est pas une exclusivité des grandes dames de la Cour qui engoncées dans leurs atours et robes à paniers devaient faire pipi debout, notre « Blanchette » avec ses jupons raidis par la crasse s'en acquittait tout aussi bien.

 

Les Chasseloutis en étaient convaincus, pas besoin de théâtre à Chasselas, tous ces « drôles d'oiseaux », souvent qualifiés d'énergumènes, comédiens malgré eux, en tenaient lieu.

 


Le père Laplace et Lucien Moriez


 

 

Commentaires des photos prises par Francis Bosson lors d'une fête du char à bœuf :

« La Blanchette », porte là des vêtements que lui remettait une habitante de la commune, la mode du noir était passée.

Sa sacoche contenait vraisemblablement les plis qu'elle devait remettre aux habitants de la commune.

Elle avait succédé à son mari dans cette charge.



 

Merci à Paule Vermylen-Milamant

pour ce récit de mémoire collective